« CARTAS DA GUERRA »: Cinéma. L’amour comme un élément vital – Cinema Galeries

« CARTAS DA GUERRA »: Cinéma. L’amour comme un élément vital

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    Ecrit par Dominique Widemann pour L’humanité, 12.04.2017

    Cinéma. L’amour comme un élément vital

    Pas de combats à l’écran, mais tout ce qui indigne et révulse un homme. O Some a furia, 2016

    Lettres de la guerre d’Ivo M. Ferreira. Portugal, 1 h 45.
    Une superbe lecture en images inspirée des lettres passionnées qu’envoie à sa femme le futur écrivain Lobo Antunes, sur le front de la guerre coloniale en Angola.

    [etm_menu aligment= »alignnone » display= »0″ flag= »0″ layout= »3″ ]Une contre-plongée magistrale hisse la première séquence du film d’Ivo M. Ferreira le long de coursives métalliques. Comme d’un fond de soute, on voit des hommes s’agiter entre plateformes et barreaux. Différemment contrastés par le noir et blanc, trébuchent l’oppression carcérale et un sentiment d’incompréhension. Ces hommes sont arrachés à leur vie, jetés dans la guerre coloniale menée par le Portugal en Angola. Dans les entrailles du navire où leurs couchettes les encagent, seul un lointain son de larmes semble répondre à la brûlure de l’air salé. Le cinéaste souhaitait depuis longtemps traiter de cette période récente, mais peu évoquée de l’histoire de son pays. Il a trouvé pour ce faire un brandon artistique et politique majeur, contenu dans le recueil de lettres adressées à sa femme par l’écrivain Antonio Lobo Antunes. Il était médecin militaire à l’époque du conflit armé que conduisait la dictature salazariste. Durant les deux années de son service militaire, de 1971 à 1973, il envoie presque quotidiennement des lettres à sa bien-aimée, Maria. Écrire pour se maintenir en vie au cœur du chaos. Qui écrit ne pleure pas. Quelques unes des deux cent quatre-vingts missives publiées (1) constituent la voix, le corps et l’âme du film, parfois lues par l’absente.

    Absente filmée (Margarida Vila-Nova) dans un appartement à des milliers de lieues, tel un fantasme au bord de la disparition, qu’il fallait pourtant incarner. Antonio Lobo Antunes (Miguel Nunes) fait œuvre poétique, érotique, triviale, cigarette à la main quand l’autre écrit. En tous lieux et non-lieux de la guerre. Parlant de l’intime, il parle pour tous. Pour tous ces soldats comme autant d’insectes sur le sable d’Afrique. ­L’ennemi n’est jamais visible. Cet ennemi contre lequel il s’agirait de « défendre la patrie », énonce absurdement à la radio le premier ministre portugais, Marcelo Caetano. Une ligne de barbelés, le vent qui bat le rappel des nuées menaçantes, le bruit d’une arme, la terreur de l’exercice en nocturne qui semble interdire à jamais la levée du jour. Le jour, les échos des tortures infligées aux « rebelles » du Mouvement populaire de libération de l’Angola assèchent la dignité humaine sous l’un de ces soleils réservés aux cauchemars.

    Pas de combats à l’écran, mais tout ce qui indigne et révulse un homme dont « l’esprit conservateur s’est désormais déplacé vers la gauche ». Vers ce commandant avec lequel Antonio dispute au bivouac des parties d’échecs. Les phares des jeeps n’éclairent que la frayeur et l’angoisse. Le vide des attentes sans fin s’emplit des infinis regrets des existences pillées. Les soldats fabriquent des cercueils, abattent les cohortes de chiens malades, agonisent à l’hôpital de campagne. Les textes à l’amante nous transportent avec leur auteur depuis l’essor immobile de l’écriture. Les actes les plus solitaires dessinent d’un même geste des duos et la cruauté des séparations. Le désir dévore, pareil à l’ourlet de feu qui pourrait border le film, son noir et blanc incandescent. Il s’était dans les débuts revêtu des tonalités moins drues qui baignent de tout temps le confort colonialiste pour une traversée des salons d’officiers et compagnies, que leurs appétits satisfaits laissent indifférents au sort du monde. La photographie de toute beauté tient son rôle à part entière, ainsi que le très remarquable travail du son. Le silence aussi, et l’encre qui exorcise les ombres. Empruntons la conclusion au sous-titre de la ­correspondance : « de ce vivre ici sur ce papier décrit ».


    (1) Lettres de la guerre, d’Antonio Lobo Antunes. Publication en 2006 aux Éditions Christian Bourgois.