THE SEA OF TREES – Par Dominique Païni – Cinema Galeries

THE SEA OF TREES – Par Dominique Païni

    Introduction

    Quelle bonne idée (et quel courage ?) d’avoir programmé ce dernier film de Gus van Sant.

    Introduction

    Quelle bonne idée (et quel courage ?) d’avoir programmé ce dernier film de Gus van Sant.

    Dominique Païni est un théoricien et acteur de la conservation des films, critique et commissaire d’exposition français. Fondateur des productions audiovisuelles et cinématographiques du Musée du Louvre de 1987 à 1991, il est également connu pour avoir été le directeur de la Cinémathèque française :

    Chers amis du Cinéma Galeries  !

    Quelques mots rapides, trop rapides !

    Quelle bonne idée (et quel courage ?) d’avoir programmé ce dernier film de Gus van Sant dont j’ai rarement vu dans ma vie de cinéphile, une identique opprobre accabler un film…

    Difficile de mémoire d’historiens ou de critiques de cinéma de se souvenir de propos aussi unanimement ravageurs à l’égard d’un film réalisé par un cinéaste d’une certaine notoriété. Sans comparer les talents des deux cinéastes, c’est à l’accueil réservé en 1964 à l’ultime film de Carl Dreyer, Gertrud, qu’un tel déchaînement m’a fait songer.

    Lors du dernier Festival de Cannes les réactions des journalistes ont été d’une grande violence, au-delà des huées habituelles qui ponctuent certaines projections. Certains films de Gus van Sant ont sans doute été suffisamment marquants pour une génération, (particulièrement la tétralogie de la jeunesse : Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid park) pour que l’exigence à  son égard soit incommensurable.

    Déjà Restless avait pâti de beaucoup de réserves. Je me souviens avoir dû prendre la plume comme une épée vengeresse pour le défendre dans les Cahiers du cinéma. Nos souvenirs engendre les quolibets, les calembours accablés et la personnalité du cinéaste n’est pas épargnée. Même si ce film n’appartient pas au sommet de l’œuvre de van Sant, je reste perplexe devant les réactions d’une profession incapable d’en évaluer certaines beautés comme ce devrait être son devoir. La réalisation du film n’est certes pas à la mesure de son ambition qui est immense. Mais personne dans la presse en charge de commenter les films nouveaux ne se donne présentement la peine de distinguer « ce que raconte le film » et « ce dont il parle » ou inversement de rapprocher les deux.

    Nos souvenirs est un film de maturité avec lequel le cinéaste se met en danger comme il ne l’a jamais fait auparavant. Au-delà des anecdotes du récit qui ne sont d’ailleurs pas anodines, que cherche van Sant avec ces deux hommes marchant et se perdant encore dans un désert. Une forêt profonde cette fois et non l’aridité de Gerry.… Quel est le sujet du film ?

    Sans doute la scène de ménage qui scande le film sous la forme de flashbacks répétés, semble-t-elle plaquée en parallèle avec l’errance du personnage principal. Mais ce qui paraît aux yeux de certains comme un prétexte banal pour échapper à l’abîme de la forêt est en fait un contrepoint depuis lequel le réalisateur dresse une nouvelle fois un portrait peu amène de la culture et des ambitions spirituelles contemporaines du peuple américain. Car les séquences au cours desquelles ce couple se défait et dont la crise semble expliquer la fuite de l’époux interprété par Matthew McConaughey, s’affrontent à ce que à quoi la culture américaine, et le cinéma en particulier, se sont longtemps mesurés tout en s’en nourrissant : les trois grands continents cinématographiques que sont l’Italie, l’Allemagne et le Japon.

    Sur fond de minables règlements de compte et de médiocres dérives conjugales alcoolisées, lots communs de tant de films hollywoodiens, trois expressions du sublime sont aujourd’hui inaccessibles et sont évoquées par lePurgatoire forestier (nom donné à cette contrée au pied de la montagne), la référence à Hansel et Gretel (le livre de Grimm entre les mains des deux personnages en perte d’eux mêmes) et la proximité hypnotique du Fujiyama. Autrement dit, l’humanisme latin édifié par la Divine Comédie, le romantisme allemand et l’onirisme nippon. Comment ne pas voir que ce film de Gus van Sant ne décrit pas seulement l’anecdote d’un homme qui fuit un désastre familial mais s’attache à dire avec pessimisme la faillite de la culture américaine si indifférente désormais à ce dont elle s’est nourrie pour se fonder ? Oui, en effet, l’Amérique n’a plus à offrir comme scénario que ces lamentables décompositions conjugales, ces petitesses existentielles, loin, très loin de ce qui conféra la grandeur à son cinéma et à sa littérature : les fictions des vieux continents. Je ne sais pas encore à ce jour si je partage le point de vue terrible de Gus van Sant. Mais ce qu’il me semble vouloir dire m’intéresse. C’est le message d’un artiste, message excessif, nietzschéen à sa manière, à sa manière d’aujourd’hui.

    Cela ne vaut-il pas un film ? Est-ce son « message » trop ambitieux qui ne peut plus être entendu ?

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