« Amanda » : chronique de la vie d’après – Cinema Galeries

« Amanda » : chronique de la vie d’après

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    Véronique Cauhapé – Le Monde – 21/11/2018

    « Amanda » : chronique de la vie d’après

    Le nouveau long-métrage de Mikhaël Hers, avec Vincent Lacoste, évoque la vague d’attentats en 2015 et ses conséquences.

    Trois ans, presque jour pour jour, après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris sort en salle le nouveau long-métrage de Mikhaël Hers, Amanda. L’histoire précisément de personnages dont la vie bascule à la suite d’une fusillade dans un parc de la capitale. La nature de l’événement ravive autant qu’elle la prolonge l’onde de choc de la tragédie. Elle dispense aussi au film un caractère dramatique que le cinéaste réussit à éprouver avec retenue et délicatesse. A cet endroit, néanmoins, s’arrête la correspondance que l’on pourrait vouloir établir entre Amanda et les faits ayant réellement existé.

    Car si l’attentat sert bel et bien de point de départ et de cadre au film, il n’en constitue pas le sujet. Ce qui le conduit, c’est la mise en observation frontale du deuil – le travail des survivants et le chagrin. Thème que portait déjà le précédent film de Mikhaël Hers, Ce sentiment de l’été (2015), et que poursuit de façon plus radicale Amanda. L’ampleur de la catastrophe engageant ici, à la fois, l’individu et le collectif.

    Pour tous, Paris rayonne d’un beau soleil, en ce début d’été. Et David (Vincent Lacoste), 24 ans, porté par l’énergie de sa jeunesse, court comme un beau diable. Assure les petits boulots dont il a la charge tout en sachant se rendre disponible pour sa sœur, Sandrine (Ophélia Kolb), professeure d’anglais et mère célibataire d’une petite fille de 7 ans, Amanda (Isaure Multrier). Quand David doit aller chercher sa nièce à l’école, il court, jongle, arrive parfois en retard. Sandrine s’en offusque. Mais la complicité et l’amour qui unissent ces deux-là écourtent toujours le temps des reproches. Ces liens les ont aidés à surmonter, dès leur plus jeune âge, l’abandon d’une mère partie loin du foyer familial. Ils leur prêtent désormais la main pour combler, auprès d’Amanda, l’absence d’un père.

    Quelques minutes de sidération

    C’est dire le degré de violence auquel est soumis l’édifice, le jour où David découvre, au ­milieu de nombreuses autres victimes, le cadavre ensanglanté de sa sœur gisant sur une pelouse du bois de Vincennes, au point de rendez-vous qu’ils s’étaient fixé pour un pique-nique entre amis. Surgi dans la clarté d’une séquence bucolique, le tableau qui nous parvient à ­travers le regard du jeune homme apparaît étrangement irréel. Une vision onirique à laquelle le film suspend son vol, dans un silence assourdissant. Quelques minutes de sidération avant le retour à la réalité.

    Au réveil, rien ne sera plus comme avant. Il va falloir annoncer à la petite fille la mort de sa mère. Il incombera aussi à David, dans l’immédiat, de s’occuper de sa nièce, et assez rapidement de se déclarer – ou pas – son tuteur. Dans ces urgences qui se heurtent au temps long du deuil, David marchera en trébuchant, sur un rythme en déséquilibre dont se fait écho le film, qui navigue entre différents états, concilie diverses cadences. Répétition des tâches quotidiennes, lenteur de la réparation, arrêt foudroyant de la douleur qui submerge avant le retour en pointillé des instants joyeux.

    Mikhaël Hers prend soin d’arrimer son sujet à des lieux précis et à des séquences
    de la vie quo­tidienne
    Mikhaël Hers compose avec ces mouvements contraires, comme au sein d’une symphonie dont l’unité se nourrit de l’intervention de tous les instruments. Laissant s’exprimer chacune des étapes traversées par David et Amanda. Le premier, à peine adulte, pressé, dispersé, emporté dans l’ivresse d’un amour naissant qu’interrompt l’attentat et lesté soudain d’une responsabilité trop lourde pour lui. La seconde, gamine aux rondeurs de poupon, mature avant l’âge, prisonnière d’un silence qu’elle doit combattre pour parvenir à s’ouvrir de nouveau. Ces deux êtres, dont on ne sait pas toujours lequel aide l’autre, apprennent à se connaître, à s’apprivoiser, à vivre ensemble, au creux d’un chagrin qui les pousse à grandir en accéléré.
    Il n’est pas de remède miracle pour se sortir d’une telle épreuve. Il en existe en revanche pour préserver un film de l’ornière mélodramatique qu’un tel drame sous-tend. Mikhaël Hers en fait la démonstration dans Amanda, comme dans chacun de ses films, où il prend soin d’arrimer son sujet à des lieux précis et à des séquences de la vie quo­tidienne. A l’intérieur de cette citadelle dont il a posé les remparts, le cinéaste n’esquive ni ne tait rien.

    Un art de l’ellipse

    La détresse et les larmes de David au milieu de la foule grouillante d’une gare, la colère d’Amanda à propos d’une brosse à dents, les phases de découragement trouvent leur place, par touches successives, dans un panorama plus large qui emporte l’histoire vers un autre courant. Celui de Paris, où la vie continue, où les terrasses de café sont pleines, où les rues défilent à la grâce d’une promenade à bicyclette. Mais où, aussi, les choses ont changé.

    Parcs fermés au lendemain de l’attentat, portiques de sécurité dans les lieux publics, présence militaire s’affichent comme les indices d’une époque dont le film se fait le témoin. Au même titre que la précarité, la multiplication des petits métiers, la location des appartements à la petite semaine, dont Mikhaël Hers a choisi de ne pas faire l’économie en situant Amanda dans les quartiers encore populaires du 12e arrondissement.

    De ce climat de violence et de fragilité, le cinéaste tire une élégance qui lui est propre. Une pudeur qui se manifeste à travers un art de l’ellipse et de la respiration dont on ne peut que lui savoir gré. Ainsi voit-on dans ces échappées belles qui parcourent le film – sur les hauteurs de Périgueux ou dans l’enceinte de Wimbledon – le signe d’une politesse, une autorisation à souffler. Et c’est alors seulement, à l’issue de ce trajet commun, que Mikhaël Hers s’accorde enfin le lâcher-prise. Dans un final mélodramatique parfaitement assumé, où, sur le visage d’Amanda, s’inscrit, à travers les larmes et le rire, tout le chemin parcouru.

     

    En salle – Cinema Galeries.
    VOF sous-titrée néerlandais

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