Bacurau « l’écran s’embrase et notre âme de révolutionnaire avec. » – Cinema Galeries

Bacurau « l’écran s’embrase et notre âme de révolutionnaire avec. »

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    « De Kleber Mendonça Filho, magicien du jeune cinéma brésilien, on n’en attendait pas moins »
    Nicolas Schaller pour L’Obs

    Qu’il fait bon vivre à Bacurau. Dans ce village à une voie, perdu dans les plaines du sertao, la doctoresse et matriarche recueille les maris saouls virés de chez eux par leurs épouses, deux putes et un gigolo ont pignon sur rue dans leur camion garé devant l’école, les enterrements se font sous psychotropes bio, bercés par les chants du troubadour local. Une vraie bourgade de western, sans shérif ni propriétaire terrien, où le seul hors-la-loi est un repenti qui souffre de voir les vidéos de ses crimes faire le buzz sur internet. On n’y trouve ni riches ni pauvres, mais un respect de la nature, de la culture et des traditions qui met tout le monde sur un pied d’égalité.

    Des gangsters de la région se disputant le barrage à proximité, Bacurau n’est plus alimenté en eau, ce qui arrange bien le préfet, Tony Jr., dont les discours de VRP masquent une farouche envie de rayer cette communauté hippie de la carte. Quand Bacurau disparaît des GPS et que des drones en forme de soucoupes volantes se mettent à survoler la ville sur une musique de John Carpenter, un autre film commence. Sanglant, rageur, sans concession. Place aux « Chasses du comte Zaroff » au pays de Bolsonaro avec Udo Kier et des acteurs américains de seconde zone dont le jeu caricatural nuit à la subtilité du propos mais en appuie la portée : c’est l’impérialisme culturel et économique des Etats-Unis et sa dégénérescence que figure ce basculement dans la série B violente, ainsi que la résurgence du militarisme fascisant dans cet « éternel pays d’avenir » (dixit Georges Clemenceau).

    De Kleber Mendonça Filho, magicien du jeune cinéma brésilien, on n’en attendait pas moins, mais pas comme ça. On le savait adepte du cinéma de genre pour en trouver quelques motifs dans ses inclassables fresques sociales, « les Bruits de Recife » et le magistral « Aquarius ». Voici qu’il s’en empare frontalement avec son décorateur, ici coréalisateur, Juliano Dornelles. Cela faisait plusieurs années que les deux hommes pensaient à cette fable à peine dystopique, prenant place « dans quelques années », où s’entrechoquent le western chamanique, la SF parano, le thriller gore et les légendes autour des cangaçeiros, ces bandits du folklore brésilien. Elle ne pouvait mieux tomber qu’aujourd’hui, à l’heure où Bolsonaro rivalise avec Trump, où les garimpeiros, ces orpailleurs clandestins, déciment les peuplades indigènes en toute impunité, où l’Amazonie brûle. Grâce à « Bacurau » (prix du jury à Cannes), c’est l’écran qui s’embrase et notre âme de révolutionnaire avec.