AN ELEPHANT SITTING STILL : UNIQUE FILM TRÈS AMBITIEUX DU CHINOIS HU BO – Cinema Galeries

AN ELEPHANT SITTING STILL : UNIQUE FILM TRÈS AMBITIEUX DU CHINOIS HU BO

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    HUBERT HEYRENDT – La Libre ★★★★ – 30/04/2019

    AN ELEPHANT SITTING STILL : UNIQUE FILM TRÈS AMBITIEUX DU CHINOIS HU BO

    An Elephant Sitting Still est le geste ultime d’une âme torturée. Le film unique d’un jeune écrivain et cinéaste chinois qui s’est suicidé, le 29 juin 2017 à 29 ans, après avoir terminé le tournage et le montage de ce très long métrage (quatre heures) adapté de l’une des nouvelles, publiées en 2017 dans son livre Huge Crack. Un suicide lié, selon certains, à des problèmes avec ses producteurs, Liu Xuan et Wang Xiaoshuai (auteur du magnifique So Long, My Son , qui a décroché les deux prix d’interprétation à Berlin et que l’on découvrira prochainement en salles).

    Mais Hu Bo portait un regard désespéré sur le monde. Béla Tarr, qui a croisé le jeune homme un peu avant sa mort dans un atelier qu’il organise dans le cadre du Festival du film FIRST en Chine, disait de lui : « C’était un homme impatient, dans une urgence perpétuelle. Peut-être savait-il qu’il lui restait peu de temps… Il faisait tout pour obtenir sans attendre ce qu’il voulait. Il n’acceptait pas le monde, et le monde ne l’acceptait pas. » Voilà qui résume parfaitement un véritable ovni cinématographique et un grand film mélancolique sur la Chine contemporaine.

    Dans sa nouvelle, Hu Bo utilise le « je » pour raconter la vie d’un scénariste désabusé. Un matin, un ami le surprend avec sa femme et se jette par la fenêtre. Pas plus bouleversé que ça, le jeune homme s’envole pour Taïwan, où il retrouve une autre jeune femme, qui lui a brisé le cœur, et pour aller voir cet éléphant dont lui avait parlé son ami. Un éléphant qui, dans un zoo, reste assis, impassible…

    Destins entremêlés

    A partir de ce bref récit de quelques pages, Hu Bo a imaginé un film d’une ampleur rare qui, sur une journée dans une ville industrielle grisâtre du nord de la Chine, entremêle quatre destins. On y retrouve ce jeune homme ayant couché avec la femme d’un de ses amis, Yu Cheng (Zhang Yu). Alors qu’il culpabilise d’avoir poussé son ami au suicide, celui-ci se met à la recherche du jeune Wei Bu (Peng Yuchang), qui a poussé son jeune frère dans les escaliers au lycée et désormais en fuite dans les rues de la ville. Sa condisciple Huang Ling (Wang Yuwen) est, elle, en dispute avec sa mère à cause d’une relation avec un professeur de leur école, la plus mauvaise de la ville et sur le point de fermer. Enfin, le vieux Wang Jin (Liu Congxi) refuse d’être placé en maison de retraite par son fils et sa belle-fille… Tous quatre rêvent de prendre le train pour rejoindre Manzhouli, petite ville du nord, à la frontière russe, où, dit-on, un éléphant est assis, tranquille, insensible au monde qui l’entoure.

    Récompensé du prix Fipresci de la critique internationale à Berlin et élu meilleur film chinois aux Golden Horse Awards à Taiwan en 2018, An Elephant Sitting Still est une œuvre à la beauté rare, à la mélancolie noire et d’un grand romantisme. A l’image de son jeune auteur, les personnages de Hu Bo sont à la recherche d’une forme d’apaisement, face à leur douleur intérieure, face au sentiment de frustration profond qui les habite. « Tout le monde est détestable », assène l’un. « Le monde est répugnant », estime un autre… Quand le vieux explique, résigné : « Tu peux aller n’importe où. Mais quand tu y seras, rien ne sera différent. »

    Le chœur du désespoir

    Errant sans but, sinon celui d’échapper à leur aliénation, ces personnages posent un regard désespéré sur la Chine contemporaine, sur cette société où l’égoïsme et la bassesse ont pris le dessus, où l’on ne croit plus en rien, sinon en l’argent, où les adultes déversent leurs propres frustrations sur leurs enfants. Et pourtant, dans ce poème choral désespéré, porté par une sublime photographie et des acteurs habités, dans ce requiem à la beauté macabre, Hu Bo ne ferme pas totalement la porte à une forme d’optimisme. Dans le brouillard qui entoure cette ville déserte, semble en effet toujours briller, même en pleine nuit, une faible lumière, un espoir ténu. Résumé en un barrissement libérateur qui clôt un grand film, cri de désespoir d’un jeune cinéaste chinois au parcours fulgurant.

    En salle – Cinema Galeries.
    VOSTFR 

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