«The florida project»: Une petite épopée fantastique en périphérie de Disney World – Cinema Galeries

«The florida project»: Une petite épopée fantastique en périphérie de Disney World

    Geoffrey Crété, Ecran large, 17.01.18

     

    The florida project : Une petite épopée fantastique en périphérie de Disney World

    Il a explosé en 2015 avec Tangerine, fable hallucinée tournée avec trois iPhone où deux femmes transgenres arpentent les rues de Los Angeles pour retrouver une rivale. Le réalisateur américain Sean Baker est de retour avec The Florida Project, très attendu et remarqué à Cannes 2017 dans la Quinzaine des réalisateurs. Et pour cause : c’est une petite épopée fantastique, centrée sur une petite fille qui vit en périphérie des rêves de DisneyWorld.

    FANTASYLAND

    Ce qui frappe d’emblée, c’est la volonté de Sean Baker de ne pas couler dans le mélodrame attendu et redouté. Le cinéaste a beau présenter un univers familier de drame social typique, entre enfants délaissés et pauveté amère, il garde une ligne lumineuse, déterminé à maintenir son regard au niveau de celui de Moonee, sa petite héroïne interprétée par la formidable Brooklynn Prince. The Florida Project est un film qui hurle, qui bouge, qui remue, de ses premiers instants à ses ultimes secondes. C’est une aventure à échelle d’enfants, qui courent sous le soleil de Floride à l’ombre des sinistres problèmes d’adulte.

    Cette énergie folle, à la hauteur des cris de Moonee et ses camarades Scooty et Jancey, permet au film de flotter au-dessus du genre, voire à la sublimer en des instants magiques. Par exemple lorsque Willem Dafoe renvoie chez eux des volatiles malpolis à l’aube, que les petits héros observent une vieille voisine bronzer topless, ou encore quand Moonee explique pourquoi elle aime tant cet arbre renversé qui survit malgré sa fragilité. Ce jeu permanent entre la légèreté et la brutalité, caractéristique des films centrés sur des enfants, est parfaitement maîtrisé par le réalisateur, d’autant plus brillamment que ces mômes sont écrits sans peur ni niaiserie.

    IT’S A SAD, SAD WORLD

    The Florida Project frappe aussi par sa capacité à inventer un monde. Sean Baker avait prouvé dans Tangerine qu’il était encore possible de poser un regard sur l’incontournable Los Angeles sans se heurter aux murs de la banalité ; installé ici dans un décor profondément décalé et loufoque, il va encore plus loin, aidé notamment par la très belle photo de Alexis Zabe (collaborateur de Carlos Reygadas). Parce qu’ils vivent en périphérie de Walt Disney World Resort (dont le tout premier nom était Florida Project), et sont donc coincés à la frontière du rêve, les personnages tournent en rond dans des paysages irréels aux noms ridicules (le motel miteux où vit Moonee s’appelle Magic Castle), artifices d’un paradis factice où ils n’ont aucun droit d’entrée. La scène du feu d’artifice en est la parfaite illustration.

    Le petit monde de Moonee avance, suffoque et sue dans un théâtre coloré, d’autant plus tragique qu’il n’est qu’un lieu de passage en pleine décrépitude pour les autres. Les adultes, avec leurs allures parfois grotesques, prennent des airs de vieilles poupées délaissées par Mickey sur le bord de la route, abandonnées à leur triste sort derrière les boutiques aux vitrines géantes. Loin des attractions réservées à ceux qui peuvent se payer un billet, Moonee vit ou affronte les sensations fortes de son quotidien, avec cette magie de l’enfance qui transforme à peu près tout en possible manège.

    SPACE MOUNTAIN

    Sans surprise après la démonstration Tangerine, le talent du réalisateur du côté des acteurs est encore une fois à l’œuvre avec une distribution éclectique et superbe, entre un nom établi comme Willem Dafoe et du casting sauvage avec Brooklynn Prince ou Bria Vinaite, aux faux airs d’Asia Argento. Sean Baker a un talent évident pour piocher les forces de ces talents et composer avec elles une symphonie harmonieuse, qui tire le meilleur de ces acteurs non-professionnels tout en montrant une facette terriblement belle et sobre d’un comédien de la stature de Willem Dafoe.

    Et c’est véritablement en chef d’orchestre que le cinéaste brille et emporte, comme il le démontre en fanfare lors des ultimes minutes. Le climax déchirant, attendu, glisse vers une douce folie dans le fond comme dans la forme. Pour s’envoler avec son héroïne, Sean Baker reprend ses armes de coeur (l’iPhone), et donne une dernière impulsion grandiose à son film. Il balaye tout, abandonne tout, et emmène le spectateur sur une piste de décollage inattendue et fabuleuse. Là encore, il prouve qu’il n’avait aucune intention de se ranger sagement dans le mélodrame social. Et tant mieux.

    Ce n’est pas un simple mélodrame cadré : c’est une petite odyssée revigorante, colorée, drôle, chatoyante, d’une douceur souvent magnifique, et portée par des acteurs fantastiques. Avec en prime, une conclusion qui transporte le coeur.

    https://www.youtube.com/watch?v=_8lpzcMjozw&t=71s

    Actuellement en salle