« Wildlife, une saison ardente » : l’adieu à la famille modèle américaine – Cinema Galeries

« Wildlife, une saison ardente » : l’adieu à la famille modèle américaine

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    Mathieu Macheret – Le Monde – 18/12/2018

    « Wildlife, une saison ardente » : l’adieu à la famille modèle américaine

    Paul Dano, devenu réalisateur, conte avec sobriété l’entrée dans l’âge adulte d’un adolescent des années 1960.

    Le passage derrière la caméra d’un comédien est souvent l’occasion d’un renversement de perspective stimulant entre mise en scène et jeu d’acteur, ces deux pôles du cinéma de fiction qu’on a trop tendance à opposer. Celui de Paul Dano, acteur intense et éruptif du paysage hollywoodien, vu dans une série de seconds rôles marquants – de There Will Be Blood (2007), de Paul Thomas Anderson, à Okja (2016), de Bong Joon-ho –, donne lieu à un premier long-métrage sensible et intimiste, déjà révélé à Sundance puis à la Semaine de la critique de Cannes.

    Adapté avec sa scénariste et compagne, Zoe Kazan, du roman Wildlife, de Richard Ford (1990, traduit en français sous le titre Une saison ardente, éditions de l’Olivier, 1991), le film emprunte une écriture modeste et limpide, toute dévouée à l’incarnation d’une petite galerie de personnages et à l’auscultation de leurs rapports.

    Le récit nous projette en 1960, au sein de la famille Brinson, installée depuis peu dans une petite ville du Montana perdue au milieu de grandes étendues naturelles, où font rage d’importants feux de forêt. Joe (Ed Oxenbould), le fils unique du foyer, 14 ans, assiste, incrédule, à la désagrégation du couple que forment ses parents, depuis que son père, Jerry (Jake Gyllenhaal), a perdu son emploi. Une déconvenue qui entraîne une série de fissures imperceptibles : la mère, Jeanette (Carey Mulligan), trouve un travail de monitrice de natation et redécouvre un dehors à l’univers domestique où elle était jusque-là confinée, tandis que Jerry, déchu de sa stature symbolique, se morfond à la maison, perdant l’estime de lui-même.

    Un jour, il se porte volontaire pour partir plusieurs mois combattre les incendies en montagne. Joe se retrouve seul avec sa mère, qui entreprend alors de se fabriquer une nouvelle existence.

    Chronique sentimentale

    Sur le ton d’une chronique sentimentale, effeuillant le passage du temps au gré des fluctuations affectives, Wildlife nous plonge à un moment charnière où la famille américaine et son mode de vie cessaient d’être éprouvés comme un modèle indépassable, pour entrer dans l’âge du doute, de la perplexité et de l’inquiétude. Cette transition amère se reflète dans le regard que Joe pose sur ses parents, passant du chromo familial figé (celui de l’enfance) à la conscience plus complexe des relations entre adultes, forcément imparfaites et toujours entropiques.

    La mise en scène épurée, toute en lignes claires et angles droits, se glisse dans un néoclassicisme parfois un peu trop retenu
    La beauté du film est de se tenir chevillé à ce regard adolescent, ébahi devant les turpitudes des aînés, compréhensif devant leurs erreurs, se refusant tout du long à prendre parti pour l’un ou l’autre – Ed Oxenbould s’avère à ce titre un jeune acteur remarquable. Joe, qui voit son père disparaître et sa mère accéder à la sphère de la sexualité, fait l’apprentissage de la « lucidité ». Un éclaircissement de conscience que semblent réverbérer les lumières cristallines du Montana en sa saison hivernale et dont la belle photographie de Diego Garcia décline les variations en autant de lueurs vibrantes et mélancoliques.

    Sortir du chromo familial, du modèle établi ou du cliché répandu : tel est l’enjeu qui sépare peu à peu les personnages de Wildlife, tous sur la tangente, mais aussi le programme que se donne le film, qui ne se laisse jamais écraser par la reconstitution des années 1960. Paul Dano répond par une mise en scène simple, épurée, toute en lignes claires et angles droits, attentive aux visages, se glissant dans un néoclassicisme presque effacé et parfois un peu trop retenu au regard de son sujet, auquel il aurait pu insuffler plus de trouble et d’équivoque.

    Délitement familial

    C’est que Dano opère depuis cet éternel américain dont il conserve la façade intacte, retranscrivant le délitement familial par subtils glissements et dérobades affectives, comme de l’intérieur, sans céder aux sirènes d’une expressivité outrancière. Ainsi, la meilleure façon que trouve Wildlife pour sortir du cliché, c’est de résister tout du long aux scènes trop attendues, crises de couple explosives ou performances d’acteur larmoyantes, auxquelles un certain cinéma indépendant nous a trop habitués.

    Dano leur substitue une forme de pondération, de pas de côté, trouvant dans le respect absolu de ses personnages ce qui fait tout le prix du film : un souci de compréhension. Et il faut sans doute voir dans le métier de photographe qu’apprend Joe, en dehors des heures d’école, une sorte d’horizon esthétique à l’ensemble : fixer par l’image la trace d’un monde originel – l’enfance – que l’on sait définitivement derrière soi.

     

    En salle – Cinema Galeries.
    VOF sous-titrée anglais

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